Mikado

Publié le par Marie

Ils sont cinq, assis à la même table.

Les dés ont perturbé la place qu’ils pensaient leur revenir.  Seul le numéro un s’est vu gratifier de l’initiale, au grand dam des numéros deux et trois qui briguaient, chacun, dès l’origine, l’ultime siège.
Le sort s’en était-il mêlé ?

Le numéro trois, assis à la quatrième place, caresse consciencieusement sa barbe comme s’il cherchait à sonder dans le reflet de la table, le plus sûr moyen de s’assurer la victoire.

Le numéro cinq, chargé du bon ordonnancement de la partie, est assis à la gauche du numéro un.  Un excellent second, pense-t-il.

Le numéro deux ferme la marche, qu’il suit du haut de sa grandeur.  Quant au numéro quatre, installé au milieu d’eux, il ne sait trop où il en est.

A leur insu, le jeu a déjà démarré.  Les bâtonnets colorés, rassemblés en un faisceau d’artifice, trônent au centre.  A qui va donc revenir l’honneur de les laisser choir ?  Les dés, encore eux, ont dévolu la tâche au numéro quatre, siégeant à tierce.  Ainsi fait-il, de son mieux.

Le satiné de la table se mue en un mystérieux entrelacs de joncs bariolés.  Le silence imprègne chacun de ce qui est demandé face à l’inextricable amoncellement duquel il s’agit de retirer le meilleur pour soi-même.

Suivant l’ordre imposé, le numéro doublement un pêche un premier stick tombé à l’écart des autres.  Muni de son trophée, il plonge dans la masse, en retire trois, y retourne et, d’un geste souple en modifie effrontément l’apparence.  La perplexité se lit déjà sur les visages - il faut savoir que le déplacement d’un quelconque des bâtons au cours de l’extraction de l’un d’eux clôture l’action du joueur, ouvrant ainsi le champ à l’expérience du suivant.

Numéro cinq, réjoui, collecte l’entièreté des badines séparées de la masse.  Pas loin de la moitié du trésor.  Numéro deux commente l’énormité de la chose pendant que numéro trois, blême, pense si fort que les mots tus s’entrechoquent en une mimique réprobatrice.  Numéro cinq poursuit son exploit.  Il retire de l’amas l’un des maîtres du lot convoité de prime abord par numéro trois.  Un léger rictus lui déforme les lèvres pendant que numéro deux enfle ses narines comme s’il voulait assurer à tous, quoique cinquième, qu’il disposait encore de l’occasion de s’approprier le meilleur du trophée.   Pendant ce temps, numéro cinq poursuit son œuvre.  Sous le regard perçant de numéro deux, il frôle un des bâtons.   Le rictus de numéro trois devient sourire.

Numéro quatre prend le relais.  Il extirpe du lot quelques pièces choisies pour leur beauté avant de bousculer la voisine de la dernière visée.  Numéro deux tente d’évaluer les points déjà engrangés par les premiers joueurs en comparant leurs avoirs au reste de la manne.  Sentencieusement, il indique que le jeu peut se poursuivre, rien n’est fait !

Pénétré d’importance, numéro trois scrute l’éventail des possibilités qui s’offrent à lui.  Un rapide calcul de probabilités indique qu’en évitant de se saisir du bâton placé à la gauche du plus cher de tous, il pourra déloger sans risque de remous ses voisins qui, in fine, lui rapporteront bien plus que le maître.  Confiant dans ses capacités à exécuter proprement le plan qu’il vient d’élaborer, numéro trois entame la manœuvre.  Ainsi qu’il le prévoyait, il pêche la plupart des bâtonnets prévus, s’arrête un instant, vérifie la configuration, rajuste sa posture, consolide sa concentration et fait glisser vers lui celui qui le mène à la victoire. 

Y avait-il un bug dans sa programmation ?  Certes non.  Ni même une quelconque maladresse qui n’ait fait  rouler le bâton sous ses doigts.  Pourtant la tentative échoue permettant ainsi à numéro deux d’enfin agir à sa guise.

Numéro deux, dégagé de toute concurrence, profite des ouvertures laissées par numéro trois.  Il retire du jeu tous les sticks restants sauf deux qui reviennent naturellement à numéro un.

Sur la table désertée, un bout de papier laisse entrevoir les résultats : à la cinquième place, numéro 5 ; à la quatrième, numéro quatre.  L’antépénultième place revient au numéro trois précédé de justesse par numéro deux.  Quant à numéro un, il est maintenu à sa place.



Publié dans Fictions

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